Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/183

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Pour maintenir l’esprit de commerce, il faut que les principaux citoyens le fassent eux-mêmes ; que cet esprit regne seul, & ne soit point croisé par un autre ; que toutes les loix le favorisent ; que ces mêmes loix, par leurs dispositions, divisant les fortunes à mesure que le commerce les grossit, mettent chaque citoyen pauvre dans une assez grande aisance, pour pouvoir travailler comme les autres ; & chaque citoyen riche dans une telle médiocrité, qu’il ait besoin de son travail pour conserver ou pour acquérir.

C’est une très-bonne loix dans une république commerçante que celle qui donne à tous les enfans une portion égale dans la succession des peres. Il se trouve par-là que, quelque fortune que le pere ait faite, ses enfans, toujours moins riches que lui, sont portés à fuir le luxe, & à travailler comme lui. Je ne parle que des républiques commerçantes ; car, pour celles qui ne le sont pas, le législateur a bien d’autres réglemens à faire[1].

Il y avoit, dans la Grece, deux sortes de républiques. Les unes étoient militaires, comme Lacédémone ; d’autres étoient commerçantes, comme Athenes. Dans les unes, on vouloit que les citoyens fussent oisifs ; dans les autres on cherchoit à donner de l’amour pour le travail. Solon fit un crime de l’oisiveté, & voulut que chaque citoyen rendit compte de la maniere dont il gagnoit sa vie. En effet, dans une bonne démocratie, où l’on ne doit dépenser que pour le nécessaire, chacun doit l’avoir ; car de qui le recevroit-on ?

  1. On y doit borner beaucoup les dots des femmes.