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Romains étoient admirables ; on pouvoit faire rendre à tous les magistrats[1] raison de leur conduite, excepté aux censeurs[2].

Deux choses sont pernicieuses dans l’aristocratie ; la pauvreté extrême des nobles, & leurs richesses exorbitantes. Pour prévenir leur pauvreté, il faut sur-tout les obliger de bonne heure à payer leurs dettes. Pour modérer leurs richesses, il faut des dispositions sages & insensibles ; non pas des confiscations, des loix agraires, des abolitions de dettes, qui sont des maux infinis.

Les loix doivent ôter le droit d’ainesse entre les nobles[3] ; afin que, par le partage continuel des successions, les fortunes se remettent toujours dans l’égalité.

Il ne faut point de substitutions, de retraits lignagers, de majorats, d’adoptions. Tous les moyens inventés pour perpétuer la grandeur des familles dans les états monarchiques, ne sçauroient être d’usage dans l’aristocratie[4].

Quand les loix ont égalisé les familles, il leur reste à maintenir l’union entre elles. Les différends des nobles doivent être promptement décidés ; sans cela, les contestations entre les personnes deviennent des contestations entre les familles. Des arbitres peuvent terminer les procès, ou les empêcher de naître.

Enfin, il ne faut point que les loix favorisent les distinctions que la vanité met entre les familles, sous prétexte quelles sont plus nobles ou plus anciennes ; cela doit être mis au rang des petitesses des particuliers.

  1. Voyez Tite Liv. l. XLIX. Un censeur ne pouvoît pas même être troublé par un censeur : chacun faisoit sa note, sans prendre l’avis de son collegue ; &, quand on fit autrement, la censure fut, pour ainsi dire, renversée.
  2. A Athenes, les logistes, qui faisoient rendre compte à tous les magistrats, ne rendaient point compte eux-mêmes.
  3. Cela est ainsi établi à Venise. Amelot de la Houssaye, Pag. 30 & 31.
  4. il semble que l’objet de quelques aristocraties soit moins de maintenir l’état, que ce qu’elles appellent leur noblesse.