Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/194

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Les corps qui ont le dépôt des loix n’obéissent jamais mieux que quand ils vont à pas tardifs, & qu’ils apportent, dans les affaires du prince, cette réflexion qu’on ne peut gueres attendre du défaut de lumieres de la cour sur les loix de l’état, ni de la précipitation de ses conseils[1].

Que seroit devenue la plus belle monarchie du monde, si les magistrats, par leurs lenteurs, par leurs plaintes, par leurs prieres, n’avoient arrêté le cours des vertus mêmes de ses rois, lorsque ses monarques, ne consultant que leur grande ame, auroient voulu récompenser sans mesure des services rendus avec un courage & une fidélité aussi sans mesure ?


CHAPITRE XI.

De l’excellence du gouvernement monarchique.


LE gouvernement monarchique a un grand avantage sur le despotique. Comme il est de sa nature qu’il y ait, sous le prince, plusieurs ordres qui tiennent à la constitution, l’état est plus fixe, la constitution plus inébranlable, la personne de ceux qui gouvernent plus assurée.

Cicéron[2] croit que l’établissement des tribuns de Rome fut le salut de la république. "En effet, dit-il, la force du peuple qui n’a point de chef est plus terrible. Un chef sent que l’affaire roule sur lui, il y pense : mais le peuple, dans son impétuosité, ne connoît point le péril où il se jette." On peut appliquer cette réflexion à un état despotique, qui est un peuple sans tri-

  1. Barbaris cunctatio servilis ; statim exequi regium videtur. Tacite, annal. liv. V.
  2. Livre III des loix.