Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/199

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Voyez, je vous prie, avec quelle industrie le gouvernement Moscovite cherche à sortir du despotisme, qui lui est plus pesant qu’aux peuples mêmes. On a cassé les grands corps de troupes, on a diminué les peines des crimes, on a établi des tribunaux, on a commencé à connoître les loix, on a instruit les peuples. Mais il y a des causes particulieres, qui le rameneront peut-êrre au malheur qu’il vouloit fuir.

Dans ces états, la religion a plus d’influence que dans aucun autre ; elle est une crainte ajoutée à la crainte. Dans les empires Mahométans, c’est de la religion que les peuples tirent, en partie, le respect étonnant qu’ils ont pour leur prince.

C’est la religion qui corrige un peu la constitution Turque. Les sujets, qui ne sont pas attachés à la gloire & à la grandeur de l’état par honneur, le sont par la force & par le principe de la religion.

De tous les gouvernemens despotiques, il n’y en a point qui s’accable plus lui-même, que celui où le prince se déclare propriétaire de tous les fonds de terre, & l’héritier de tous les sujets : il en résulte toujours l’abandon de la culture des terres. Et, si d’ailleurs le prince est marchand, toute espece d’industrie est ruinée.

Dans ces états, on ne répare, on n’améliore rien[1]. On ne bâtit de maisons que pour la vie ; on ne fait point de fossés, on ne plante point d’arbtes ; on tire tout de la terre, on ne lui rend rien ; tout est en friche, tout est désert.

Pensez-vous que les loix qui ôtent la propriété des fonds de terre & la succession des biens, diminueront l’avarice & la cupidité des grands ? Non : elles irriteront cette cupidité & cette avarice. On sera porté à faire mille vexations, parce qu’on ne croira avoir en propre que l’or ou l’argent que l’on pourra voler ou cacher.

Pour que tout ne soit pas perdu, il est bon que l’avidité du prince soit modérée par quelque coutume.

  1. Voyez Ricaut, état de l’empîre Ottoman, page 196.