Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/202

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La famille regnante ressemhle à l’état : elle est trop foible, & son chef est trop fort ; elle paroît étendue, & elle se réduit à rien. Artaxerxès[1] fit mourir tous ses enfans, pour avoir conjuré contre lui. Il n’est pas vraisemblable que cinquante enfans conspirent contre leur père ; & encore moins qu’ils conspirent, parce qu’il n’a pas voulu céder sa concubine à son fils ainé. Il est plus simple de croire qu’il y a là quelque intrigue de ces serrails d’orient ; de ces lieux où l’artifice, la méchanceté, la ruse regnenr dans le silence, & se couvrent d’une épaisse nuit ; ou un vieux prince, devenu tous les jours plus imbécille, est le premier prisonnier du palais.

Après tout ce que nous venons de dire, il sembleroit que la nature humaine se souleveroit sans cesse contre le gouvernement despotique. Mais, malgré l’amour des hommes pour la liberté, malgré leur haine contre la violence, la plupart des peuples y sont soumis. Cela est aisé à comprendre. Pour former un gouvernement modéré, il faut combiner les puissances, les régler, les tempérer, les faire agir ; donner, pour ainsi dire, un lest à l’une, pour la mettre en état de résister à une autre. C’est un chef-d’œuvre de législation, que le hasard fait rarement, & que rarement on laisse faire à la prudence. Un gouvernement despotique, au contraire, faute, pour ainsi dire, aux yeux ; il est uniforme partout : comme il ne faut que des passions pour l’établir, tout le monde est bon pour cela.


CHAPITRE XV.

Continuation du même sujet.


DANS les climats chauds, où regne ordinairement le despotisme, les passions se font plutôt sentir, & elles

  1. Voyez Justin.