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QUATRIEME QUESTION. Convient-il que les charges soient vénales ? Elles ne doivent pas l’être dans les états despotiques, où il faut que les sujets soient placés ou déplacés dans un instant par le prince.

Cette vénalité est bonne dans les états monarchiques ; parce qu’elle fait faire, comme un métier de famille, ce qu’on ne voudroit pas entreprendre pour la vertu ; qu’elle destine chacun à son devoir, & rend les ordres de l’état plus permanens. Suidas ([1]) dit très-bien qu’Anastase avoit fait de l’empire une espece d’aristocratie, en vendant toutes les magistratures.

Platon ([2]) ne peut souffrir cette vénalité. " C’est dit-il, comme si, dans un navire, on faisoit quelqu’un pilote ou matelot pour son argent. Seroit-il possible que la regle fût mauvaise dans quelque autre emploi que ce fût de la vie, & bonne seulement pour conduire une république ? " Mais Platon parle d’une république fondée sur la vertu, & nous parlons d’une monarchie. Or, dans une monarchie, où, quand les charges ne se vendroient pas par un réglement public, l’indigence & l’avidité des courtisans les vendroient tout de même, le hasard donnera de meilleurs sujets que le choix du prince. Enfin, la maniere de s’avancer par les richesses inspire & entretient l’industrie ([3]) ; chose dont cette espece de gouvernement a grand besoin.

CINQUIEME QUESTION. Dans quel gouvernement faut-il des censeurs ? Il en faut dans une république, où le principe du gouvernement est la vertu. Ce ne sont pas seulement les crimes qui détruisent la vertu ; mais encore les négligences, les fautes, une certaine tiédeur dans l’amour de la patrie, des exemples dangereux, des semences de corruption ; ce qui ne choque point les loix, mais les élude ; ce qui ne les détruit pas, mais les affoiblit : tout cela doit être corrigé par les censeurs.

  1. Fragmens tirés des ambassades de Constantin Porphyrogénete.
  2. Républ. liv. VIII.
  3. Paresse de l’Espagne ; on y donne tous les emplois.