Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/215

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Un des privileges le moins à charge à la société, & sur-tout à celui qui le donne, c’est de plaider devant un tribunal, plutôt que devant un autre. Voilà de nouvelles affaires ; c’est-à-dire, celles où il s’agit de sçavoir devant quel tribunal il faut plaider.

Les peuples des états despotiques sont dans un cas bien différent. Je ne sçais sur quoi, dans ces pays, le législateur pourroit statuer, ou le magistrat juger. Il suit, de ce que les terres appartiennent au prince, qu’il n’y a presque point de loix civiles sur la propriété des terres. Il suit, du droit que le souverain a de succéder, qu’il n’y en a pas non plus sur les successions. Le négoce exclusif qu’il fait dans quelques pays, rend inutiles toutes sortes de loix sur le commerce. Les mariages que l’on y contracte avec des filles esclaves, font qu’il n’y a gueres de loix civiles sur les dots & sur les avantages des femmes. Il résulte encore de cette prodigieuse multitude d’esclaves, qu’il n’y a presque point de gens qui aient une volonté propre, & qui, par conséquent, doivent répondre de leur conduite devant un juge. La plupart des actions morales, qui ne sont que les volontés du pere, du mari, du maître, se reglent par eux, & non par les magistrats.

J’oubliois de dire que ce que nous appellons l’honneur étant à peine connu dans ces états, toutes les affaires qui regardent cet honneur, qui est un si grand chapitre parmi nous, n’y ont point de lieu. Le despotisme se suffit à lui-même ; tout est vuide autour de lui. Aussi, lorsque les voyageurs nous décrivent les pays où il regne, rarement nous parlent-ils de loix civiles[1].

  1. Au Mazulipatan, on n’a pu découvrir qu’il y eût de loi écrite. Voyez le recueil des voyages qui ont servi à l’établissement de la compagnie des Indes, tome IV, partie premiere, page 391. Les Indiens ne se reglent, dans les jugemens, que sur de certaines coutumes. Le Védan, & autres livres pareils, ne contiennent point de loix civiles, mais des préceptes religieux. Voyez lettres édifiantes, quatorzieme recueil.