Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/219

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damne ; il ne me pararoît pas[1] : c’est que le peuple jugeoit, ou étoit censé juger. Mais le peuple n’est pas jurisconsulte ; toutes ces modifications & tempéramens des arbitres ne sont pas pour lui ; il faut lui présenter un seul objet, un fait, & un feul fait ; & qu’il n’ait qu’à voir s’il doit condamner, absoudre, ou remettre le jugement.

Les Romains, à l’exemple des Grecs, introduisirent des formules d’actions[2], & établirent la nécessité de diriger chaque affaire par l’action qui lui étoit propre. Cela étoit nécessaire dans leur maniere de juger : il falloit fixer l’état de la question, pour que le peuple l’eût toujours devant les yeux. Autrement, dans le cours d’une grande affaire, cet état de la question changeroit continuellement, & on ne le reconnoîtroit plus.

De-là, il suivoit que les juges, chez les Romains, n’accordoient que la demande précise, sans rien augmenter, diminuer, ni modifier. Mais les prêteurs imaginerent d’autres formules d’actions, qu’on appella de bonne foi[3], où la maniere de prononcer étoit plus dans la disposition du juge. Ceci étoit plus conforme à l’esprit de la monarchie. Aussi les jurisconsultes François disent-ils : En France[4] toutes les actions sont de bonne foi.

  1. Non liquet.
  2. Quas actiones ne populus, proùt vellet, institueret, certas solemnesque esse voluerunt. Leg. 2, §. 6. dig. de orig. jur.
  3. Dans lesquelles on mettoit ces mots : Ex bonâ fide.
  4. On y condamne aux dépens celui-là même à qui on demande plus qu’il ne doit, s’il n’a offert & consigné ce qu’il doit.