Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/230

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de l’impunité des crimes, & non pas de la modération des peines.

Suivons la nature, qui a donné aux hommes la honte comme leur fléau ; & que la plus grande partie de la peine soit l’infamie de la souffrir.

Que s’il se trouve des pays où la honte ne soit pas une suite du supplice, cela vient de la tyrannie, qui a infligé les mêmes peines aux scélérats & aux gens de biens.

Et si vous en voyez d’autres où les hommes ne sont retenus que par des supplices cruels, comptez encore que cela vient, en grande partie, de la violence du gouvernement, qui a employé ces supplices pour des fautes légeres.

Souvent un législateur, qui veut corriger un mal, ne songe qu’à cette correction ; ses yeux sont ouverts sur cet objet, & fermés sur les inconvéniens. Lorsque le mal est une fois corrigé, on ne voit plus que la dureté du législateur : mais il reste un vice dans l’état, que cette dureté a produit ; les esprits sont corrompus, ils se sont accoutumés au despotisme.

Lysandre[1] ayant remporté la victoire sur les Athéniens, on jugea les prisonniers ; on accusa les Athéniens d’avoir précipité tous les captifs de deux galeres, & résolu en pleine assemblée de couper le poing aux prisonniers qu’ils feroient. Ils furent tous égorgés, excepté Adymante, qui s’étoit opposé à ce décret. Lysandre reprocha à Philoclès, avant de le faire mourir, qu’il avoit dépravé les esprits, & fait des leçons de cruauté à toute la Grece.

"Les Argiens, dit Plutarque[2], ayant fait mourir quinze cens de leurs citoyens, les Athéniens firent apporter les sacrifices d’expiation, afin qu’il plût aux dieux de détourner, du cœur des Athéniens, une si cruelle pensée."

  1. Xénophon, hist. liv. II.
  2. Œuvres morales, de ceux qui manient les affaires d’état.