Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/232

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Les relations nous disent, au sujet de l’éducation des Japonois, qu’il faut traiter les enfans avec douceur, parce qu’ils s’obstinent contre les peines ; que les esclaves ne doivent point être trop rudement traités, parce qu’ils se mettent d’abord en défense. Par l’esprit qui doit regner dans le gouvernement domestique, n’auroit-on pas pu juger de celui qu’on devoit porter dans le gouvernement politique & civil ?

Un législateur sage auroit cherché à ramener les esprits par un juste tempérament des peines & des récompenses ; par des maximes de philosophie, de morale & de religion, assorties à ces caracteres ; par la juste application des regles de l’honneur ; par le supplice de la honte ; par la jouissance d’un bonheur constant, & d’une douce tranquillité. Et, s’il avoit craint que les esprits, accoutumés à n’être arrêtés que par une peine cruelle, ne pussent plus l’être par une plus douce, il auroit agi[1] d’une maniere sourde & insensible ; il auroit, dans les cas particuliers les plus graciables, modéré la peine du crime, jusqu’à ce qu’il eût pu parvenir à la modifier dans tous les cas.

Mais le despotisme ne connoît point ces ressorts ; il ne mene pas par ces voies. Il peut abuser de lui ; mais c’est tout ce qu’il peut faire. Au Japon, il a fait un effort ; il est devenu plus cruel que lui-même.

Des ames par-tout effarouchées & rendues plus atroces, n’ont pu être conduites que par une atrocité plus grande.

Voilà l’origine, voilà l’esprit des loix du Japon. Mais elles ont eu plus de fureur que de force. Elles ont réussi à détruire le christianisme : mais des efforts si inouis sont une preuve de leur impuissance. Elles ont voulu établir une bonne police, & leur foiblesse a paru encore mieux.

Il faut lire la relation de l’entrevue de l’empereur &

  1. Remarquez bien ceci, comme une maxime de pratique, dans les cas où les esprits ont été gàtés par des peines trop rigoureuses.