Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/235

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cemvirs n’eussent pas mis ces loix dans leurs douze-tables : mais des gens qui aspiroient à la tyrannie n’avoient garde de suivre l’esprit de la république.

Tite Live[1] dit, sur le supplice de Métius Suffétius, dictateur d’Albe, qui fut condamné par Tullus Hostilius à être tiré par deux chariots, que ce fut le premier & le dernier supplice où l’on témoigna avoir perdu la mémoire de l’humanité. Il se trompe : la loi des douze-tables est pleine de dispositions très-cruelles[2].

Celles qui découvrent le mieux le dessein des décemvirs est la peine capitale prononcée contre les auteurs des libeles & les poëtes. Cela n’est gueres du génie de la république, où le peuple aime à voir les grands humiliés. Mais des gens qui vouloient renverser la liberté craignoient des écrits qui pouvoient rappeller l’esprit de la liberté[3].

Après l’expulsion des décemvirs, presque toutes les loix qui avoient fixé les peines furent ôtées. On ne les abrogea pas expressément : mais la loi Porcia ayant défendu de mettre à mort un citoyen Romain, elles n’eurent plus d’application.

Voilà le temps auquel on peut rappeller ce que Tite Live[4] dit des Romains, que jamais peuple n’a plus aimé la modération des peines.

Que si l’on ajoute à la douceur des peines le droit qu’avoit un accusé de se retirer avant le jugement, on verra bien que les Romains avoient suivi cet esprit que j’ai dit être naturel à la république.

Sylla, qui confondit la tyrannie, l’anarchie & la liberté, fit les loix Cornéliennes. Il sembla ne faire des réglemens que pour établir des crimes. Ainsi, qualifiant une infinité d’actions du nom de meurtre, il trouva partout des meurtriers ; & par une pratique qui ne fut que

  1. Liv. I.
  2. On y trouve le supplice du feu ; des peines presque toujours capitales, le vol puni de mort, &c.
  3. Sylla animé du même esprit que les décemvirs, augmenta, comme eux, les peines contre les écrivains satyriques.
  4. Liv. I.