Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/242

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la peine : les formalités mêmes des jugemens y sont des punitions. C’est là que la honte vient de tous côtés, pour former des genres particuliers de peines.

Les grands y sont si fort punis par la disgrace, par la perte souvent imaginaire de leur fortune, de leur crédit, de leurs habitudes, de leurs plaisirs, que la rigueur, à leur égard, est inutile : elle ne peut servir qu’à ôter aux sujets l’amour qu’ils ont pour la personne du prince, & le respect qu’ils doivent avoir pour les places.

Comme l’instabilité des grands est de la nature du gouvernement despotique, leur sûreté entre dans la nature de la monarchie.

Les monarques ont tant à gagner par la clémence, elle est suivie de tant d’amour, ils en tirent tant de gloire, que c’est presque toujours un bonheur pour eux d’avoir l’occasion de l’exercer ; & on le peut presque toujours dans nos contrées.

On leur disputera peut-être quelque branche de l’autorité, presque jamais l’autorité entiere ; &, si quelquefois ils combattent pour la couronne, ils ne combattent point pour la vie.

Mais, dira-t-on, quand faut-il punir ? quand faut-il pardonner ? C’est une chose qui se fait mieux sentir, qu’elle ne peut se prescrire. Quand la clémence a des dangers, ces dangers sont très-visibles. On la distingue aisément de cette foiblesse qui mene le prince au mépris, & à l’impuissance même de punir.

L’empereur Maurice[1] prit la résolution de ne verser jamais le sang de ses sujets. Anastase[2] ne punissoit point les crimes. Isaac l’Ange jura que, de son regne, il ne feroit mourir personne. Les empereurs Grecs avoient oublié que ce n’étoit pas en vain qu’ils portoient l’épée.

  1. Evagre, hist.
  2. Fragm. de Suidas, dans Constant. Porphyrog.