Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

médier à aucun des maux qui naissent, qu’en ôtant la corruption, & en rappellant les principes : toute autre correction est ou inutile, ou un nouveau mal. Pendant que Rome conserva ses principes, les jugemens purent être sans abus entre les mains des sénateurs : mais, quand elle fut corrompue, à quelque corps que ce fût qu’on transportât les jugemens, aux sénateurs, aux chevaliers, aux trésoriers de l’épargne, à deux de ces corps, à tous les trois ensemble, à quelque autre corps que ce fût, on étoit toujours mal. Les chevaliers n’avoient pas plus de vertu que les sénateurs, les trésoriers de l’épargne pas plus que les chevaliers, & ceux-ci aussi peu que les centurions.

Lorsque le peuple de Rome eut obtenu qu’il auroit part aux magistratures patriciennes, il étoit naturel de penser que ces flatteurs alloient être les arbitres du gouvernement. Non : l’on vit ce peuple, qui rendoit les magistratures communes aux plébéiens, élire toujours des patriciens. Parce qu’il étoit vertueux, il étoit magnanime ; parce qu’il étoit libre, il dédaignoit le pouvoir. Mais, lorsqu’il eut perdu ses principes, plus il eut de pouvoir, moins il eut de ménagemens ; jusqu’à ce qu’enfin, devenu son propre tyran & son propre esclave, il perdit la force de la liberté, pour tomber dans la foiblesse de la licence.


CHAPITRE XIII.

Effet du serment chez un peuple vertueux.


IL n’y a point eu de peuple, dit Tite Live[1], où la dissolution se soit plus tard introduite que chez les Romains, & où la modération & la pauvreté aient été plus long-temps honorées.

  1. Liv. I.