Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



CHAPITRE VI.

De la force défensive des états, en général.


POUR qu’un état soit dans sa force, il faut que sa grandeur soit telle, qu’il y ait un rapport de la vitesse avec laquelle on peut exécuter contre lui quelque entreprise, & la promptitude qu’il peut employer pour la rendre vaine. Comme celui qui attaque peut d’abord paroitre par-tout, il faut que celui qui défend puisse se montrer par-tout aussi ; &, par conséquent, que l’étendue de l’état soit médiocre, afin qu’elle soit proportionnée au degré de vitesse que la nature a donné aux hommes pour se transporter d’un lieu à un autre.

La France & l’Espagne sont précisément de la grandeur requise. Les forces se communiquent si bien, qu’elles se portent d’abord là où l’on veut ; les armées s’y joignent, & passent rapidement d’une frontiere à l’autre ; & l’on n’y craint aucune des choses qui ont besoin d’un certain temps pour être exécutées.

En France, par un bonheur admirable, la capitale se trouve plus près des différentes frontieres, justement à proportion de leur foiblesse ; & le prince y voit mieux chaque partie de son pays, à mesure qu’elle est plus exposée.

Mais, lorsqu’un vaste état, tel que la Perse, est attaqué, il faut plusieurs mois pour que les troupes dispersées puissent s’assembler ; & on ne force pas leur marche pendant tant de temps, comme on fait pendant quinze jours. Si l’armée qui est sur la frontiere est battue, elle est sûrement dispersée, parce que ses retraites ne sont pas prochaines : l’armée victorieuse, qui ne trouve pas de résistance, s’avance à grandes journées, paroît devant la capitale, & en forme le siege, lorsqu’à peine les gouneurs des provinces peuvent être avertis d’envoyer du secours. Ceux qui jugent la révolution prochaine la hâtent, en n’obéissant pas. Car des gens, fideles unique-