Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/308

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commerce & de sa marine ; Alexandre la détruisit. Il prit l’Égypte, que Darius avoit laissée dégarnie de troupes, pendant qu’il assembloit des armées innombrables dans un autre univers.

Le passage du Granique fit qu'Alexandre se rendit maître des colonies Grecques ; la bataille d’Issus lui donna Tyr & l’Égypte ; la bataille d’Arbelles lui donna toute la terre.

Après la bataille d’Issus, il laisse fuir Darius, & ne s’occupe qu’à affermir & à régler ses conquêtes : après la bataille d’Arbelles, il le suit de si près[1], qu’il ne lui laisse aucune retraite dans son empire. Darius, n’entre dans ses villes & dans ses provinces, que pour en sortir : les marches d'Alexandre sont si rapides, que vous croyez voir l’empire de l’univers plutôt le prix de la course, comme dans les jeux de la Grece, que le prix de la victoire.

C’est ainsi qu’il fit les conquêtes : voyons comment il les conserva.

Il résista à ceux qui vouloient qu’il traitât[2] les Grecs comme maîtres, & les Perses comme esclaves : il ne songea qu’à unir les deux nations, & à faire perdre les distinctions du peuple conquérant & du peuple vaincu : il abandonna, après la conquête, tous les préjugés qui lui avoient servi à la faire : il prit les mœurs des Perses, pour ne pas désoler les Perses, en leur faisant prendre les mœurs des Grecs ; c’est ce qui fit qu’il marqua tant de respect pour la femme & pour la mere de Darius, & qu’il montra tant de continence. Qu’est-ce que ce conquérant, qui est pleuré de tous les peuples qu’il a soumis ? qu’est-ce que cet usurpateur, sur la mort duquel la famille qu’il a renversée du trône verse des larmes ? C’est un trait de cette vie dont les historiens ne nous disent pas que quelque autre conquérant puisse se vanter.

Rien n’affermit plus une conquête, que l’union qui

  1. Ibid. lib. III.
  2. C’étoit le conseil d’Aristote. Plutarque, œuvres morales : de la fortune d’Alexandre.