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Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/319

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Voyez quelle peut être la situation d’un citoyen dans ces républiques. Le même corps de magistrature a, comme exécuteur des loix, toute la puissance qu’il s’est donnée comme législateur. Il peut ravager l’état par ses volontés générales ; &, comme il a encore la puissance de juger, il peut détruire chaque citoyen par ses volontés particulieres.

Toute la puissance y est une ; &, quoiqu’il n’y ait point de pompe extérieure qui découvre un prince despotique, on le sent à chaque instant.

Aussi, les princes qui ont voulu se rendre despotiques ont-ils toujours commencé par réunir en leur personne toutes les magistratures, & plusieurs rois d’Europe toutes les grandes charges de leur état.

Je crois bien que la pure aristocratie héréditaire des républiques d’Italie ne répond pas précisément au despotisme de l’Asie. La multitude des magistrats adoucit quelquefois la magistrature ; tous les nobles ne concourent pas toujours aux mêmes desseins ; on y forme divers tribunaux qui se temperent. Ainsi, à Venise, le grand-conseil a la législation ; le prégady, l’exécution ; les quaranties, le pouvoir de juger. Mais le mal est que ces tribunaux différens sont formés par des magistrats du même corps ; ce qui ne fait gueres qu’une même puissance.

La puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple[1], dans certains temps de l’année, de la maniere prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la nécessité le requiert.

De cette façon, la puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n’étant attachée ni à un certain état, ni à une certaine profession, devient, pour ainsi dire, invisible & nulle. On n’a point continuellement des juges devant les yeux ; & l’on craint la magistrature, & non pas les magistrats.

  1. Comme à Athenes.