Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/324

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de nouveaux députés à la place de ceux qui mourroient : &, dans ce cas, si le corps législatif étoit une fois corrompu, le mal seroit sans remede. Lorsque divers législatifs se succedent les uns aux autres, le peuple, qui a mauvaise opinion du corps législatif actuel, porte, avec raison, ses espérances sur celui qui viendra après : mais, si c’étoit toujours le même corps, le peuple, le voyant une fois corrompu, n’espéreroit plus rien de ses loix ; il deviendroit furieux, ou tomberoit dans l’indolence.

Le corps législatif ne doit point s’assembler lui-même : car un corps n’est censé avoir de volontés que lorsqu’il est assemblé ; &, s’il ne s’assembloit pas unanimement, on ne sçauroit dire quelle partie seroit véritablement le corps législatif, celle qui seroit assemblée, ou celle qui ne le seroit pas. Que s’il avoit droit de se proroger lui-même, il pourroit arriver qu’il ne se prorogeroit jamais ; ce qui seroit dangereux, dans le cas où il voudroit attenter contre la puissance exécutrice. D’ailleurs, il y a des temps plus convenables les uns que les autres, pour l’assemblée du corps législatif : il faut donc que ce soit la puissance exécutrice qui regle le temps de la tenue & de la durée de ces assemblées, par rapport aux circonstances qu’elle connoît.

Si la puissance exécutrice n’a pas le droit d’arrêter les entreprises du corps législatif, celui-ci sera despotique : car, comme il pourra se donner tout le pouvoir qu’il peut imaginer, il anéantira toutes les autres puissances.

Mais il ne faut pas que la puissance législative ait réciproquement la faculté d’arrêter la puissance exécutrice : car l’exécution ayant ses limites par sa nature, il est inutile de la borner ; outre que la puissance exécutrice s’exerce toujours sur des choses momentanées. Et la puissance des tribuns de Rome étoit vicieuse, en ce qu’elle arrêtoit non seulement la législation, mais même l’exécution ; ce qui causoit de grands maux.

Mais si, dans un état libre, la puissance législative ne doit pas avoir le droit d’arrêter la puissance exécutrice, elle a droit, & doit avoir la faculté d’examiner de quelle maniere les loix qu’elle a faites ont été