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CHAPITRE XXVI.

Que, dans la monarchie, le prince doit être accessible.


CELA le sentira beaucoup mieux par les contrastes.

"Le czar Pierre premier, dit le sieur Perry[1], a fait une nouvelle ordonnance, qui défend de lui présenter de requête, qu’après en avoir présenté deux à ses officiers. On peut, en cas de déni de justice, lui présenter la troisieme : mais celui qui a tort doit perdre la vie. Personne depuis n’a adressé de requête au czar."


CHAPITRE XXVII.

Des mœurs du monarque.


LES mœurs du prince contribuent autant à la liberté que les loix : il peut, comme elles, faire des hommes des bêtes, & des bêtes faire des hommes. S’il aime les ames libres, il aura des sujets ; s’il aime les ames basses, il aura des esclaves. Veut-il sçavoir le grand art de regner ? qu’il approche de lui l’honneur & la vertu, qu’il appelle le mérite personnel. Il peut même jetter quelquefois les yeux sur les talens. Qu’il ne craigne point ces rivaux qu’on appelle les hommes de mérite : il leur est égal, dès qu’il les aime. Qu’il gagne le cœur, mais qu’il ne captive point l’esprit. Qu’il le rende populaire. Il doit être flatté de l’amour du moindre de ses sujets ; ce sont toujours des hommes. Le peuple demande si peu d’égards, qu’il est juste de les lui accorder : l’infinie distance qui est entre le souverain, & lui, empê-

  1. État de la grande-Russie, pag. 173, édit. de Paris, 1717.