Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une chose de cette espece dans un pays gouverné comme la Turquie ? & quand il l’oseroit faire, comment le pourroit-il, avec une fortune suspecte, incertaine, ruinée ?


CHAPITRE XV.

Abus de la liberté.


CES grands avantages de la liberté ont fait que l’on a abusé de la liberté même. Parce que le gouvernement modéré a produit d’admirables effets, on a quitté cette modération : parce qu’on a tiré de grands tributs, on en a voulu tirer d’excessifs : &, méconnoissant la main de la liberté qui faisoit ce présent, on s’est adressé à la servitude qui refuse tout.

La liberté a produit l’excès des tributs : mais l’effet de ces tributs excessifs est de produire, à leur tour, la servitude ; & l’effet de la servitude, de produire la diminution des tributs.

Les monarques de l’Asie ne font gueres d’édits que pour exempter, chaque année, de tributs quelque province de leur empire[1] : les manifestations de leur volonté sont des bienfaits. Mais, en Europe, les édits des princes affligent même avant qu’on les ait vus, parce qu’ils y parlent toujours de leurs besoins, & jamais des nôtres.

D’une impardonnable nonchalance que les ministres de ces pays-là tiennent du gouvernement & souvent du climat, les peuples tirent cet avantage, qu’ils ne sont point sans cesse accablés par de nouvelles demandes. Les dépenses n’y augmentent point, parce qu’on n’y fait point de projets nouveaux ; & si, par hazard, on y en fait, ce sont des projets dont on voit la fin, & non des projets commencés. Ceux qui gouvernent l’état ne le


  1. C’est l’usage des empereurs de la Chine.