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Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/438

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différent que peu ou beaucoup de gens y vivent dans l’esclavage.

Mais, dans les états modérés, il est très-important qu’il n’y ait point trop d’esclaves. La liberté politique y rend précieuse la liberté civile ; & celui qui est privé de cette derniere est encore privé de l’autre. Il voit une société heureuse, dont il n’est pas même partie ; il trouve la sûreté établie pour les autres, & non pas pour lui ; il sent que son maître a une ame qui peut s’aggrandir, & que la sienne est contrainte de s’abbaisser sans cesse. Rien ne met plus près de la condition des bêtes, que de voir toujours des hommes libres, & de ne l’être pas. De telles gens sont des ennemis naturels de la société ; & leur nombre seroit dangereux.

Il ne faut donc pas être étonné que, dans les gouvernemens modérés, l’état ait été si troublé par la révolte des esclaves, & que cela soit arrivé si rarement[1] dans les états despotiques.


CHAPITRE XIV.

Des esclaves armés.


IL est moins dangereux, dans la monarchie, d’armer les esclaves, que dans les républiques. Là, un peuple guerrier, un corps de noblesse, contiendront assez ces esclaves armés. Dans la république, des hommes uniquement citoyens ne pourront gueres contenir des gens qui, ayant les armes à la main, se trouveront égaux, aux citoyens.

Les Goths qui conquirent l’Espagne se répandirent dans le pays, & bientôt se trouverent très-foibles. Ils firent trois réglemens considérables : ils abolirent l’an-

  1. La révolte des Mammelus étoit un cas particulier ; c’étoit un corps de milice qui usurpa l’empire.