Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/453

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aucun des deux sexes, soit à celui qui abuse, soit à celui dont on abuse. Elle n’est pas non plus utile aux enfans ; & un de ses grands inconvéniens, est que le pere & la mere ne peuvent avoir la même affection pour leurs enfans ; un pere ne peut pas aimer vingt enfans, comme une mere en aime deux. C’est bien pis, quand une femme a plusieurs maris ; car, pour lors, l’amour paternel ne tient plus qu’à cette opinion, qu’un pere peut croire, s’il veut, ou que les autres peuvent croire, que de certains enfans lui appartiennent.

On dit que le roi de Maroc a, dans son serrail, des femmes blanches, des femmes noires, des femmes jaunes. Le malheureux ! à peine a-t-il besoin d’une couleur.

La possession de beaucoup de femmes ne prévient pas toujours les desirs[1] pour celle d’un autre : il en est de la luxure comme de l’avarice ; elle augmente sa soif par l’acquisition des trésors.

Du temps de Justinien, plusieurs philosophes, gênés par le christianisme, se retirerent en Perse auprès de Cosroës. Ce qui les frappa le plus, dit Agathias[2], ce fut que la polygamie étoit permise à des gens qui ne s’abstenoient pas même de l’adultere.

La pluralité des femmes, qui le diroit ! mene à cet amour que la nature désavoue : c’est qu’une dissolution en entraine toujours une autre. A la révolution qui arriva à Constantinople, lorsqu’on déposa le sultan Achmet, les relations disoient que le peuple ayant pillé la maison du chiaya, on n’y avoit pas trouvé une seule femme. On dit qu’à Alger[3] on est parvenu à ce point, qu’on n’en a pas dans la plupart des serrails.


  1. C’est ce qui fait que l’on cache avec tant de soin les femmes en orient.
  2. De la vie & des actions de Justinien, pag. 403.
  3. Log. de Tassis, hist. d’Alger.