Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/47

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civil : ainsi autrefois Newton avoit jetté, dès sa premiere jeunesse, les fondemens des ouvrages qui l’ont rendu immortel. Cependant l’étude de la jurisprudence, quoi-que moins aride pour M. de Montesquieu que pour la plupart de ceux qui s’y livrent, parce qu’il la cultivoit en philosophe, ne suffisoit pas à l’étendue & à l’activité de son génie. Il approfondissoit, dans le même temps, des matieres encore plus importantes & plus délicates[1], & les discutoit dans le silence avec la sagesse, la décence & l’équité qu’il a depuis montrées dans ses ouvrages.

Un oncle paternel, président à mortier au parlement de Bordeaux, juge éclairé & citoyen vertueux, l’oracle de sa compagnie & de sa province, ayant perdu un fils unique, & voulant conserver, dans son corps, l’esprit d’élévation qu’il avoit tâché d’y répandre, laissa ses biens & sa charge à M. de Montesquieu. Il étoit conseiller au parlement de Bordeaux depuis le 24 février 1714, & fut reçu président à mortier le 13 juillet 1716. Quelques années après, en 1722, pendant la minorité du roi, sa compagnie le chargea de présenter des remontrances à l’occasion d’un nouvel impôt. Placé entre le trône & le peuple, il remplit, en sujet respectueux & en magistrat plein de courage, l’emploi si noble & si peu envié, de faire parvenir au souverain le cri des malheureux : & la misere publique, représentée avec autant d’habileté que de force, obtint la justice qu’elle demandoit. Ce succès, il est vrai, par malheur pour l’état bien plus que pour lui, fut aussi passager que s’il eût été injuste ; à peine la voix des peuples eut-elle cessé de se faire entendre, que l’impôt supprimé fut

  1. C’étoit un ouvrage en forme de lettres, dont le but étoit de prouver que l’idolâtrie de la plupart des païens ne paroissoit pas mériter une damnation éternelle. Note de monsieur d’Alembert.