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grand-seigneur. Lorsque l’héritier présomptif vient à naître, on lui donne tous les enfans à la mammelle, pour le servir pendant sa vie. Vous diriez que c’est le grand Sésostris. Ce chef est traité dans sa cabane avec les cérémonies qu’on feroit à un empereur du Japon ou de la Chine.

Les préjugés de la superstition sont supérieurs à tous les autres préjugés, & ses raisons à toutes les autres raisons. Ainsi, quoique les peuples sauvages ne connoissent point naturellement le despotisme, ce peuple-ci le connoît. Ils adorent le soleil : &, si leur chef n’avoit pas imaginé qu’il étoit le frere du soleil, ils n’auroient trouvé en lui qu’un misérable comme eux.


CHAPITRE XIX.

De la liberté des Arabes, & de la servitude des Tartares.


LES Arabes & les Tartares sont des peuples pasteurs. Les Arabes se trouvent dans les cas généraux dont nous avons parlé, & sont libres : au lieu que les Tartares (peuple le plus singulier de la terre) se trouvent dans l’esclavage politique[1]. J’ai déja[2] donné quelques raisons de ce dernier fait : en voici de nouvelles.

Ils n’ont point de villes, ils n’ont point de forêts, ils ont peu de marais ; leurs rivieres sont presque toujours glacées, ils habitent une immense plaine, ils ont des pâturages & des troupeaux, & par conséquent des biens : mais ils n’ont aucune espece de retraite ni de défense. Si-tôt qu’un kan est convaincu, on lui coupe la tête[3] ; on traite de la même maniere ses enfans ;


  1. Lorsqu’on proclame un kan, tout le peuple s’écrie : Que sa parole lui serve de glaive.
  2. Liv. XXVII, chap. V.
  3. Ainsi, il ne faut pas être étonné si Mirivéis, s’étant rendu maître d’Ispahan, fit tuer tous les princes du sang.