Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/507

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CHAPITRE V.

Combien il faut être attentif à ne point changer l’esprit général d’une nation.


S’IL y avoit dans le monde une nation qui eût une humeur sociable, une ouverture de cœur, une joie dans la vie, un goût, une facilité à communiquer ses pensées ; qui fût vive, agréable, enjouée, quelquefois imprudente, souvent indiscrete ; & qui eût avec cela du courage, de la générosité, de la franchise, un certain point d’honneur ; il ne faudroit point chercher à gêner par des loix ses manieres, pour ne point gêner ses vertus. Si, en général, le caractere est bon, qu’importe de quelques défauts qui s’y trouvent.

On y pourroit contenir les femmes, faire des loix pour corriger leurs mœurs, & borner leur luxe : mais qui sçait si on n’y perdroit pas un certain goût, qui seroit la source des richesses de la nation, & une politesse qui attire chez elle les étrangers ?

C’est au législateur à suivre l’esprit de la nation, lors-qu’il n’est pas contraire aux principes du gouvernement ; car nous ne faisons rien de mieux que ce que nous faisons librement, en suivant notre génie naturel.

Qu’on donne un esprit de pédanterie à une nation naturellement gaie, l’état n’y gagnera rien, ni pour le dedans, ni pour le dehors. Laissez-lui faire les choses frivoles sérieusement, & gaiement les choses sérieuses.


CHAPITRE VI.

Qu’il ne faut pas tout corriger.


QU’ON nous laisse comme nous sommes, disoit un gentilhomme d’une nation qui ressemble beaucoup à