Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/514

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La loi qui obligeoit les Moscovites à se faire couper la barbe & les habits, & la violence de Pierre I, qui faisoit tailler jusqu’aux genoux les longues robes de ceux qui entroient dans les villes, étoient tyranniques. Il y a des moyens pour empêcher les crimes ; ce sont les peines : il y en a pour faire changer les manieres ; ce sont les exemples.

La facilité & la promptitude avec laquelle cette nation s’est policée, a bien montré que ce prince avoit trop mauvaise opinion d’elle ; & que ces peuples n’étoient pas des bêtes, comme il le disoit. Les moyens violens qu’il employa étoient inutiles ; il seroit arrivé tout de même à son but par la douceur.

Il éprouva lui-même la facilité de ces changemens : les femmes étoient renfermées, & en quelque façon esclaves ; il les appella à la cour, il les fit habiller à l’Allemande, il leur envoyoit des étoffes : ce sexe goûta d’abord une façon de vivre qui flattoit si fort son goût, sa vanité & ses passions, & la fit goûter aux hommes.

Ce qui rendit le changement plus aisé, c’est que les mœurs d’alors étoient étrangeres au climat, & y avoient été apportées par le mélange des nations & par les conquêtes. Pierre I donnant les mœurs & les manieres de l’Europe à une nation d’Europe, trouva des facilités qu’il n’attendoit pas lui-même. L’empire du climat est le premier de tous les empires. Il n’avoit donc pas besoin de loix pour changer les mœurs & les manieres de sa nation ; il lui eût suffi d’inspirer d’autres mœurs & d’autres manieres.

En général, les peuples sont très-attachés à leurs coutumes ; les leur ôter violemment, c’est les rendre malheureux : il ne faut donc pas les changer, mais les engager à les changer eux-mêmes.

Toute peine qui ne dérive pas de la nécessité est tyrannique. La loi n’est pas un pur acte de puissance : les choses indifférentes par leur nature ne sont pas de son ressort.