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ront bien de la société un citoyen qui, ayant perdu ses mœurs, viole les loix : mais si tout le monde a perdu ses mœurs, les rétabliront-ils ? Les supplices arrêteront bien plusieurs conséquences du mal général, mais ils ne corrigeront pas ce mal. Aussi, quand on abandonna les principes du gouvernement Chinois, quand la morale fut perdue, l’état tomba-t-il dans l’anarchie, & on vit des révolutions.


CHAPITRE XVIII.

Conséquence du chapitre précédent.


IL résulte de-là que la Chine ne perd point ses loix par la conquête. Les manieres, les mœurs, les loix, la religion y étant la même chose, on ne peut changer tout cela à la fois. Et, comme il faut que le vainqueur ou le vaincu changent, il a toujours fallu à la Chine que ce fût le vainqueur : car ses mœurs n’étant point ses manieres, ses manieres ses loix, ses loix sa religion, il a été plus aisé qu’il se pliât peu à peu au peuple vaincu, que le peuple vaincu à lui.

Il suit encore de-là une chose bien triste : c’est qu’il n’est presque pas possible que le christianisme s’établisse jamais à la Chine[1]. Les vœux de virginité, les assemblées des femmes dans les églises, leur communication nécessaire avec les ministres de la religion, leur participation aux sacremens, la confession auriculaire, l’extrême-onction, le mariage d’une seule femme ; tout cela renverse les mœurs & les manieres du pays, & frappe encore du même coup sur la religion & sur les loix.

La religion chrétienne, par l’établissement de la charité, par un culte public, par la participation aux mê-


  1. Voyez les raisons données par les magistrats Chinois, dans les décrets par lesquels ils proscrivent la religion chrétienne. Lett. édif. dix-septieme recueil.