Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/520

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gens, des magistrats à ceux qui leur étoient soumis, de l’empereur à ses sujets. Tout cela formoit les rites, & ces rites l’esprit général de la nation.

On va sentir le rapport que peuvent avoir, avec la constitution fondamentale de la Chine, les choses qui paroissent les plus indifférentes. Cet empire est formé sur l’idée du gouvernement d’une famille. Si vous diminuez l’autorité paternelle, ou même si vous retranchez les cérémonies qui expriment le respect que l’on a pour elle, vous affoiblissez le respect pour les magistrats qu’on regarde comme des peres ; les magistrats n’auront plus le même soin pour les peuples qu’ils doivent considérer comme des enfans ; ce rapport d’amour qui est entre le prince & les sujets se perdra aussi peu à peu. Retranchez une de ces pratiques, & vous ébranlez l’état. Il est fort indifférent en soi que tous les matins une belle-fille se leve pour aller rendre tels & tels devoirs à sa belle-mere : mais si l’on fait attention que ces pratiques extérieures rappellent sans cesse à un sentiment qu’il est nécessaire d’imprimer dans tous les cœurs, & qui va de tous les cœurs former l’esprit qui gouverne l’empire, l’on verra qu’il est nécessaire qu’une telle ou une telle action particuliere se fasse.


CHAPITRE XX.

Explication d’un paradoxe sur les Chinois.


CE qu’il y a de singulier, c’est que les Chinois, dont la vie est entiérement dirigée par les rites, sont néanmoins le peuple le plus fourbe de la terre. Cela paroît sur-tout dans le commerce, qui n’a jamais pu leur inspirer la bonne foi qui lui est naturelle. Celui qui achete doit porter[1] sa propre balance ; chaque mar-

  1. Journal de Lange, en 1721 & 1722 ; tome VIII des voyages du nord, page 363.