Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/527

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suivroit beaucoup ses caprices & ses fantaisies, on changeroit souvent de parti ; on en abandonneroit un où l’on laisserait tous ses amis, pour se lier à un autre dans lequel on trouverait tous ses ennemis ; & souvent, dans cette nation, on pourrait oublier les loix de l’amitié & celles de la haine.

Le monarque seroit dans le cas des particuliers ; &, contre les maximes ordinaires de la prudence, il seroit souvent obligé de donner sa confiance à ceux qui l’auraient le plus choqué, & de disgracier ceux qui l’auraient le mieux servi, faisant par nécessité ce que les autres princes font par choix.

On craint de voir échapper un bien que l’on sent ; que l’on ne connoît gueres, & qu’on peut nous déguiser ; & la crainte grossit toujours les objets. Le peuple seroit inquiet sur sa situation, & croirait être en danger dans les momens même les plus sûrs.

D’autant mieux que ceux qui s’opposeroient le plus vivement à la puissance exécutrice, ne pouvant avouer les motifs intéressés de leur opposition, ils augmenteraient les terreurs du peuple, qui ne sçauroit jamais au juste s’il seroit en danger ou non. Mais cela même contribuerait à lui faire éviter les vrais périls où il pourroit dans la suite être exposé.

Mais le corps législatif ayant la confiance du peuple ; & étant plus éclairé que lui, il pourroit le faire revenir des mauvaises impressions qu’on lui aurait données, & calmer ses mouvemens.

C’est le grand avantage qu’auroit ce gouvernement sur les démocraties anciennes, dans lesquelles le peuple avoit une puissance immédiate ; car, lorsque des orateurs l’agitoient, ces agitations avoient toujours leur effet.

Ainsi, quand les terreurs imprimées n’auroient point d’objet certain, elles ne produiroient que de vaines clameurs & des injures : & elles auraient même ce bon effet, qu’elles tendroient tous les ressorts du gouvernement, & rendroient tous les citoyens attentifs. Mais, si elles naissoient à l’occasion du renversement des loix