Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/572

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Il paroît même qu’après cette découverte, il n’eut aucune vue nouvelle sur Alexandrie. Il avoit bien, en général, le projet d’établir un commerce entre les Indes & les parties occidentales de son empire : mais, pour le projet de faire le commerce par l’Égypte, il lui manquoit trop de connoissances pour pouvoir le former. Il avoit vu l’Indus, il avoit vu le Nil ; mais ne connoissoit point les mers d’Arabie, qui sont entre deux. A peine fut-il arrivé des Indes, qu’il fit construire de nouvelles flottes, navigea[1] sur l’Euléus, le Tigre, l’Euphrate & la mer : il ôta les cataractes que les Perses avoient mises sur ces fleuves : il découvrit que le sein Persique étoit un golfe de l’océan. Comme il alla reconnoître[2] cette mer, ainsi qu’il avoit reconnu celle des Indes ; comme il fit construire un port à Babylone pour mille vaisseaux, & des arcenaux ; comme il envoya cinq cens talens en Phénicie & en Syrie, pour en faire venir des nautoniers, qu’il vouloit placer dans les colonies qu’il répandoit sur les côtes ; comme enfin il fit des travaux immenses sur l’Euphrate les autres fleuves de l’Assyrie, on ne peut douter que son dessein ne fût de faire le commerce des Indes par Babylone & le golfe Persique.

Quelques gens, sous prétexte qu’Alexandre vouloit conquérir l’Arabie[3], ont dit qu’il avoit formé le dessein d’y mettre le siege de son empire : mais, comment auroit-il choisi un lieu qu’il ne connoissoit pas[4] ? D’ailleurs, c’étoit le pays du monde le plus incommode : il se seroit séparé de son empire. Les Califes, qui conquirent au loin, quitterent d’abord l’Arabie, pour s’établir ailleurs.


  1. Arrien, de expeditione Alexandri, lib. VII.
  2. Ibid.
  3. Strabon, livre XVI, à la fin.
  4. Voyant la Babylonie inondée, il regardoit l’Arabie, qui en est proche, comme une isle. Aristobule, dans Strabon, liv. XVI.