Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/583

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rages[1]. Les marchands Carthaginois dont parle Scylax, pouvoient trouver des obstacles qu’Hannon, qui avoit soixante navires de cinquante rames chacun, avoit vaincus. Les difficultés sont relatives ; & de plus, on ne doit pas confondre une entreprise qui a la hardiesse & la témérité pour objet, avec ce qui est l’effet d’une conduite ordinaire.

C’est un beau morceau de l’antiquité que la relation d’Hannon : le même homme, qui a exécuté, a écrit : il ne met aucune ostentation dans ses récits. Les grands capitaines écrivent leurs actions avec simplicité, parce qu’ils sont plus glorieux de qu’ils ont fait, que de ce qu’ils ont dit.

Les choses sont comme le style. Il ne donne point dans le merveilleux : tout ce qu’il dit du climat, du terrein, des mœurs, des manières des habitans, se rapporte à ce qu’on voit aujourd’hui dans cette côte d’Afrique : il semble que c’est le journal d’un de nos navigateurs.

Hannon remarque sur sa flotte, que, le jour, il regnoit dans le continent un vaste silence ; que, la nuit, on entendoit les sons de divers instruments de musique ; & qu’on voyoit par-tout des feux, les uns plus grands, les autres moindres[2]. Nos relations confirment ceci : on y trouve que, le jour, ces sauvages, pour éviter l’ardeur du soleil, se retirent dans les forêts ; que, la nuit, ils font de grands feux, pour écarter les bêtes féroces ; & qu’ils aiment passionnément la danse & les instrumens de musique. Hannon nous décrit un volcan avec tous les phéno-


  1. Voyez les cartez & les relations, le premier volume des voyages qui ont servi à l’établissement de la compagnie des Indes, part. 1, pag. 201. Cette herbe couvre tellement la surface de la mer, qu’on a de la peine à voir l’eau, & les vaisseaux ne peuvent passer au travers que par un vent frais.
  2. Pline nous dit la même chose, en parlant du mont Atlas : Noctibus micare crebris ignibus, tibiarum cantu timpanorumque sonitu strepere, neminem interdiù cerni.