Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/607

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diminua toujours de moitié pour l’Espagne, qui n’avoit, chaque année, que la même quantité d’un métal qui étoit devenu la moitié moins précieux.

Dans le double du temps, l’argent doubla encore ; & le profit diminua encore de la moitié.

Il diminua même de plus de la moitié : voici comment.

Pour tirer l’or des mines, pour lui donner les préparations requises, & le transporter en Europe, il falloit une dépense quelconque. Je suppose qu’elle fût comme 1 est à 64 : quand l’argent fut doublé une fois, & par conséquent la moitié moins précieux, la dépense fut comme 2 sont à 64. Ainsi les flottes qui porterent en Espagne la même quantité d’or, porterent une chose qui réellement valoit la moitié moins, & coûtoit la moitié plus.

Si l’on suit la chose de doublement en doublement ; on trouvera la progression de la cause de l’impuissance des richesses de l’Espagne.

Il y a environ deux cens ans que l’on travaille les mines des Indes. Je suppose que la quantité d’argent qui est à présent dans le monde qui commerce, soit, à celle qui étoit avant la découverte, comme 37 est à 1, c’est-à-dire, qu’elle ait doublé cinq fois : dans deux cens ans encore, la même quantité sera, à celle qui étoit avant la découverte, comme 64 est à 1, c’est-à-dire, qu’elle doublera encore. Or, à présent, cinquante[1] quintaux de minerai pour l’or, donnent quatre, cinq & six onces d’or ; &, quand il n’y en a que deux, le mineur ne retire que ses fraix. Dans deux cens ans, lorsqu’il n’y en aura que quatre, le mineur ne tirera aussi que ses fraix. Il y aura donc peu de profit à tirer sur l’or. Même raisonnement sur l’argent, excepté que le travail des mines d’argent est un peu plus avantageux que celui des mines or.

Que si l’on découvre des mines si abondantes qu’elles donnent plus de profit ; plus elles seront abondantes, plutôt le profit finira.


  1. Voyez les voyages de Frezier.