Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/63

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ces coups de pinceau énergiques et brillans, qui peignent d’un seul trait les peuples & les hommes.

Enfin, car nous ne voulons pas jouer ici le rôle des commentateurs d’Homere, il y a sans doute des fautes dans l’Esprit des loix, comme il y en a dans tout ouvrage de génie, dont l’auteur a le premier osé se frayer des routes nouvelles. M. de Montesquieu a été parmi nous, pour l’étude des loix, ce que Descartes a été pour la philosophie : il éclaire souvent, & se trompe quelquefois ; & en se trompant même, il instruit ceux qui sçavent lire. Cette nouvelle édition montrera, par les additions & corrections qu’il y a faites, que, s’il est tombé de temps en temps, il a sçu le reconnoître & se relever. Par-là, il acquerra du moins le droit à un nouvel examen, dans les endroits ou il n’aura pas été de l’avis de ses censeurs. Peut-être même ce qu’il aura jugé le plus digne de correction leur a-t-il absolument échappé, tant l’envie de nuire est ordinairement aveugle.

Mais ce qui est à la portée de tout le monde dans l’Esprit des loix, ce qui doit rendre l’auteur cher à toutes les nations, ce qui serviroit même à couvrir des fautes plus grandes que les siennes, c’est l’esprit de citoyen qui l’a dicté. L’amour du bien public, le desir de voir les hommes heureux, s’y montrent de toutes parts ; &, n’eût-il que ce mérite si rare & si précieux, il seroit digne, par cet endroit seul, d’être la lecture des peuples & des rois. Nous voyons déja, par une heureuse expérience, que les fruits de cet ouvrage ne se bornent pas, dans ses lecteurs, à des sentimens stériles. Quoique M. de Montesquieu ait peu survécu à la publication de l’Esprit des loix, il a eu la satisfaction d’entrevoir les effets qu’il commence à produire parmi nous ; l’amour naturel des François pour leur patrie, tourné vers son véritable objet ; ce goût pour le commerce, pour l’agriculture, et pour les arts uti-