Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/68

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dans un siecle malheureux, où les intérêts de la religion ont besoin d’être ménagés ; & qu’on peut lui nuire auprès des simples, en répandant mal-à-propos, sur des génies du premier ordre, le soupçon d’incrédulité ; qu’enfin, malgré cette accusation injuste, M. de Montesquieu fut toujours estimé, recherché & accueilli par tout ce que l’église a de plus respectable & de plus grand. Eût-il conservé auprès des gens de bien la considération dont il jouissoit, s’ils l’eussent regardé comme un écrivain dangereux ?

Pendant que des insectes le tourmentoient dans son propre pays, l’Angleterre élevoit un monument à sa gloire. En 1752, M. Dassier, célebre par les médailles qu’il a frappées à l’honneur de plusieurs hommes illustres, vint de Londres à Paris pour frapper la sienne. M. de la Tour, cet artiste si supérieur par son talent, & si estimable par son désintéressement & l’élévation de son ame, avoit ardemment desiré de donner un lustre à son pinceau, en transmettant à la postérité le portrait de l’auteur de l’Esprit des loix ; il ne vouloit que la satisfaction de le peindre ; & il méritoit, comme Appelle, que cet honneur lui fût réservé : mais M. de Montesquieu, d’autant plus avare du temps de M. de la Tour que celui-ci en étoit plus prodigue, se refusa constamment & poliment à ses pressantes sollicitations. M. Dassier essuya d’abord des difficultés semblables. « Croyez-vous, dit-il enfin à M. de Montesquieu, qu’il n’y ait pas autant d’orgueil à refuser ma proposition, qu’à l’accepter ? » Désarmé par cette plaisanterie, il laissa faire à M. Dassier tout ce qu’il voulut.

L’auteur de l’Esprit des loix jouissoit enfin paisiblement de sa gloire, lorsqu’il tomba malade au commencement de février. Sa santé, naturellement délicate, commençoit à s’altérer depuis long-temps, par l’effet lent & presque infaillible des études profondes ; par les chagrins qu’on avoit cherché à lui susciter sur son ou-