Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/237

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gement, ou non, est également contraire aux idées de l’honneur établi dans ces temps-là, et à l’engagement où l’on étoit envers son seigneur de défendre sa cour, je crois que cette distinction de Beaumanoir étoit une jurisprudence nouvelle chez les Français.

Je ne dis pas que tous les appels de faux jugement se décidassent par bataille ; il en étoit de cet appel comme de tous les autres. On se souvient des exceptions dont j’ai parlé au chapitre XXV. Ici, c’étoit au tribunal suzerain à voir s’il falloit ôter, ou non, les gages de bataille.

On ne pouvoit point fausser les jugements rendus dans la cour du roi ; car le roi n’ayant personne qui lui fût égal, il n’y avoit personne qui pût l’appeler ; et le roi n’ayant point de supérieur, il n’y avoit personne qui pût appeler de sa cour.

Cette loi fondamentale, nécessaire comme loi politique, diminuoit encore, comme loi civile, les abus de la pratique judiciaire de ces temps-là. Quand un seigneur craignoit qu’on ne faussât sa cour, ou voyoit qu’on se présentoit pour la fausser, s’il étoit du bien de la justice qu’on ne la faussât pas, il pouvoit demander des hommes de la cour du roi, dont on ne pouvoit fausser le jugement ; et le roi Philippe, dit Desfontaines, envoya tout son conseil pour juger une affaire dans la cour de l’abbé de Corbie.

Mais, si le seigneur ne pouvoit avoir des juges du roi, il pouvoit mettre sa cour dans celle du roi, s’il relevoit nuement de lui ; et, s’il y avoit des seigneurs intermédiaires, il s’adressoit à son seigneur suzerain, allant de seigneur en seigneur jusqu’au roi.

Ainsi, quoiqu’on n’eût pas dans ces temps-là la pratique ni l’idée même des appels d’aujourd’hui, on avoit recours au roi, qui étoit toujours la source d’où tous les fleuves partoient, et la mer où ils revenoient.