Aller au contenu

Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vont à Tombouctou, dans le fond de l’Afrique, troquer du sel contre de l’or, n’ont pas besoin de monnoie. Le Maure met son sel dans un monceau ; le Negre, sa poudre dans un autre ; s’il n’y a pas assez d’or, le Maure retranche de son sel, ou le Negre ajoute de son or, jusqu’à ce que les deux parties conviennent.

Mais, lorsqu’un peuple trafique sur un très-grand nombre de marchandises, il faut nécessairement une monnoie ; parce qu’un métal facile à transporter épargne bien des fraix, que l’on seroit obligé de faire, si l’on procédoit toujours par échange.

Toutes les nations ayant des besoins réciproques, il arrive souvent que l’une veut avoir un très-grand nombre de marchandises de l’autre, & celle-ci très-peu des siennes ; tandis qu’à l’égard d’une autre nation, elle est dans un cas contraire. Mais, lorsque les nations ont une monnoie, & qu’elles procedent par vente & par achat, celles qui prennent plus de marchandises se soldent, ou paient l’excédent avec de l’argent : & il y a cette différence, que, dans le cas de l'achat, le commerce se fait à proportion des besoins de la nation qui demande le plus : & que, dans l’échange, le commerce se fait seulement dans l’étendue des besoins de la nation qui demande le moins ; sans quoi, cette derniere seroit dans l’impossibilité de solder son compte.


CHAPITRE II.

De la nature de la monnoie.


LA monnoie est un signe qui représente la valeur de toutes les marchandises. On prend quelque métal, pour que le signe soit durable[1]; qu’il se consomme peu à l’usage ; & que, sans se détruire, il soit capable


  1. Le sel, dont on se sert en Abyssinie, a ce défaut, qu’il se consomme continuellement.