Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/348

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ses nations qui vivaient dans la monarchie étaient convenus ; les lois de chaque nation étaient données, et même rédigées par écrit. Que faisait cette cession étrangère à un établissement déjà formé ?

Que veut dire M. l’abbé Dubos avec les déclamations de tous ces évêques, qui, dans le désordre, la confusion, la chute totale de l’État, les ravages de la conquête, cherchent à flatter le vainqueur ? Que suppose la flatterie, que la faiblesse de celui qui est obligé de flatter ? Que prouve la rhétorique et la poésie, que l’emploi même de ces arts ? Qui ne serait étonné de voir Grégoire de Tours, qui, après avoir parlé des assassinats de Clovis, dit que cependant Dieu prosternait tous les jours ses ennemis, parce qu’il marchait dans ses voies ? Qui peut douter que le clergé n’ait été bien aise de la conversion de Clovis, et qu’il n’en ait même tiré de grands avantages ? Mais qui peut douter en même temps que les peuples n’aient essuyé tous les malheurs de la conquête, et que le gouvernement romain n’ait cédé au gouvernement germanique ? Les Francs n’ont point voulu, et n’ont pas même pu tout changer ; et même peu de vainqueurs ont eu cette manie. Mais, pour que toutes les conséquences de M. l’abbé Dubos fussent vraies, il aurait fallu que non seulement ils n’eussent rien changé chez les Romains, mais encore qu’ils se fussent changés eux-mêmes.

Je m’engagerais bien, en suivant la méthode de M. l’abbé Dubos, à prouver de même que les Grecs ne conquirent pas la Perse. D’abord, je parlerais des traités que quelques-unes de leurs villes firent avec les Perses : je parlerais des Grecs qui furent à la solde des Perses, comme les Francs furent à la solde des Romains. Que si Alexandre entra dans le pays des Perses, assiégea, prit et détruisit la ville de Tyr, c’était une affaire particulière, comme celle de Syagrius. Mais voyez comment le pontife des Juifs vient au-devant de lui ; écoutez l’oracle de Jupiter Ammon ; ressouvenez-vous comment il avait été prédit à Gordium ; voyez comment toutes les villes courent, pour ainsi dire,