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Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/39

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pour payer : au contraire, si la France est créanciere d’un certain nombre de gros, moins chaque écu vaudra de gros, plus elle recevra d’écus. L’état perd encore comme acheteur ; car il faut toujours le même nombre de gros pour acheter la même quantité de marchandises ; &, lorsque le change baisse, chaque écu de France donne moins de gros. Par la même raison, l’état gagne comme vendeur : je vends ma marchandise en Hollande le même nombre de gros que je la vendois ; j’aurai donc plus d’écus en France, lorsque avec cinquante gros je me procurerai un écu, que lorsqu’il m’en faudra cinquante-quatre pour avoir ce même écu : le contraire de tout ceci arrivera à l’autre état. Si la Hollande doit un certain nombre d’écus, elle gagnera ; &, si on lui doit, elle perdra ; si elle vend, elle perdra ; si elle achete, elle gagnera.

Il faudra pourtant suivre ceci : lorsque le change est au-dessous du pair ; par exemple, s’il est à cinquante au lieu d’être à cinquante-quatre, il devroit arriver que la France, envoyant par le change cinquante-quatre mille écus en Hollande, n’acheteroit de marchandises que pour cinquante mille ; & que, d’un autre côté, la Hollande envoyant la valeur de cinquante mille écus en France, en acheteroit pour cinquante-quatre mille : ce qui seroit une différence de huit cinquante-quatriemes, c’est-à-dire, de plus d’un septieme de perte pour la France ; de sorte qu’il faudroit envoyer en Hollande un septieme de plus en argent ou en marchandises, qu’on ne faisoit lorsque le change étoit au pair : & le mal augmentant toujours, parce qu’une pareille dette feroit encore diminuer le change, la France seroit, à la fin, ruinée. Il semble, dis-je, que cela devroit être ; & cela n’est pas, à cause du principe que j’ai déjà établi ailleurs[1]; qui est que les états tendent toujours à se mettre dans la balance, & à se procurer leur libération ; ainsi, ils n’empruntent qu’à proportion de ce


  1. Voyez le livre XX, chap. XXI.