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Chapitre XXXII.

Comment la couronne de France passa dans la maison de Hugues Capet.


L’hérédité des fiefs et l’établissement général des arrière-fiefs éteignirent le gouvernement politique, et formèrent le gouvernement féodal. Au lieu de cette multitude innombrable de vassaux que les rois avaient eus, ils n’en eurent plus que quelques-uns, dont les autres dépendirent. Les rois n’eurent presque plus d’autorité directe : un pouvoir qui devait passer par tant d’autres pouvoirs, et par de si grands pouvoirs, s’arrêta ou se perdit avant d’arriver à son terme. De si grands vassaux n’obéirent plus ; et ils se servirent même de leurs arrière-vassaux pour ne plus obéir. Les rois, privés de leurs domaines, réduits aux villes de Reims et de Laon, restèrent à leur merci. L’arbre étendit trop loin ses branches, et la tête se sécha. Le royaume se trouva sans domaine, comme est aujourd’hui l’empire. On donna la couronne à un des plus puissants vassaux.

Les Normands ravageaient le royaume ; ils venaient sur des espèces de radeaux ou de petits bâtiments, entraient par l’embouchure des rivières, les remontaient, et dévastaient le pays des deux côtés. Les villes d’Orléans et de Paris arrêtaient ces brigands  ; et ils ne pouvaient avancer ni sur la Seine ni sur la Loire. Hugues Capet, qui possédait ces deux villes, tenait dans ses mains les deux clefs des malheureux restes du royaume ; on lui déféra une couronne qu’il était seul en état de défendre. C’est ainsi que depuis on a donné l’empire à la maison qui tient immobiles les frontières des Turcs.