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Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/43

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     Pour remédier à cela, on sera forcé de faire une opération nouvelle. L’état, qui fait la refonte, enverra lui-même une grande quantité d’espece vieille chez la nation qui regle le change ; &, s’y procurant un crédit, il fera monter le change au point, qu’on aura, à peu de chose près, autant de gros, par le change, d’un écu de trois livres, qu’on en auroit en faisant sortir un écu de trois livres en espece vieille hors du pays. Je dis à peu de chose près, parce que, lorsque le profit sera modique, on ne sera point tenté de faire sortir l’espece, à cause des fraix de la voiture, & des risques de la confiscation.

Il est bon de donner une idée bien claire de ceci. Le sieur Bernard, ou tout autre banquier que l’état voudra employer, propose ses lettres sur la Hollande, & les donne à un, deux, trois gros plus haut que le change actuel ; il a fait une provision, dans les pays étrangers, par le moyen des especes vieilles qu’il a fait continuellement voiturer ; il a donc fait hausser le change au point que nous venons de dire : cependant, à force de donner ses lettres, il se saisit de toutes les especes nouvelles, & force les autres banquiers, qui ont des paiemens à faire, à porter leurs especes vieilles à la monnoie : & de plus, comme il a eu, insensiblement, tout l’argent, il contraint, à leur tour, les autres banquiers à lui donner des lettres à un change très-haut : le profit de la fin l’indemnise, en grande partie, de la perte du commencement.

On sent que, pendant toute cette opération, l’état doit souffrir une violente crise. L’argent y deviendra très-rare ; 1°. parce qu’il faut en décrier la plus grande partie ; 2°. parce qu’il en faudra transporter une partie dans les pays étrangers ; 3°. parce que tout le monde le resserrera, personne ne voulant laisser au prince un profit qu’on espere avoir soi-même. Il est dangereux de la faire avec lenteur : il est dangereux de la faire avec promptitude. Si le gain qu’on suppose est immodéré, les inconvéniens augmentent à mesure.

On a vu, ci-dessus, que, quand le change étoit plus