Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/98

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bre de branches de commerce, il n’y en ait toujours quelqu’une qui souffre, & dont, par conséquent, les ouvriers ne soient dans une nécessité momentanée.

C’est pour lors que l’état a besoin d’apporter un prompt secours, soit pour empêcher le peuple de souffrir, soit pour éviter qu’il ne se révolte : c’est dans ce cas qu’il faut des hôpitaux, ou quelque règlement équivalent, qui puisse prévenir cette misere.

Mais, quand la nation est pauvre, la pauvreté particulière dérive de la misere générale ; & elle est, pour ainsi dire, la misere générale. Tous les hôpitaux du monde ne sçauroient guérir cette pauvreté particulière : au contraire, l’esprit de paresse qu’ils inspirent augmente la pauvreté générale, & par conséquent la particulière.

Henri VIII voulant réformer l’église d’Angleterre, détruisit les moines[1], nation paresseuse elle-même, & qui entretenoit la paresse des autres ; parce que, pratiquant l’hospitalité, une infinité de gens oisifs, gentilshommes & bourgeois, passoient leur vie à courir de couvent en couvent. Il ôta encore les hôpitaux où le bas peuple trouvoit sa subsistance, comme les gentilshommes trouvoient la leur dans les monasteres. Depuis ce changement, l’esprit de commerce & d’industrie s’établit en Angleterre.

A Rome, les hôpitaux font que tout le monde est à son aise, excepté ceux qui travaillent, excepté ceux qui ont de l’industrie, excepté ceux qui cultivent les arts, excepté ceux qui ont des terres, excepté ceux qui font le commerce.

J’ai dit que les nations riches avoient besoin d’hôpitaux, parce que la fortune y étoit sujette à mille accidens : mais on sent que des secours passagers vaudroient bien mieux que des établissemens perpétuels. Le mal est momentané : il faut donc des secours de même nature, & qu’ils soient appliquables à l’accident particulier.


  1. Voyez l’histoire de la réforme d’Angleterre, par M. Burnet.