Page:Montesquieu - Histoire véritable, éd. Bordes de Fortage, 1902.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
7
HISTOIRE VÉRITABLE


étant descendu dans une fourmilière, je charroyay, tout l’été, la provision comme un chameau. Enfin je tins mon rang dans un parti de frêlons contre une armée de guêpes, et j’y fus tué des premiers.

Je nacquis perroquet ; je vivois dans les bois, et j’y passois agréablement ma vie. On m’en tira pour me mettre parmy les hommes. J’appris d’abord à parler comme eux ; mais ils n’avoient pas l’esprit de chanter comme moy, aussi les meprisois-je beaucoup. On m’enferma dans une cage de fer, et les premiers jours j’en fus très affligé. Mais j’aimois le vin, il ne me manquoit pas, et j’y noyay tous mes chagrins.

Vous trouverés dans tout cecy, mon cher Ayesda, la clef de toutes les sympathies et de toutes les antipathies mal démêlées ; elles ont des causes que les gens qui n’ont pas reçu le même don que moy ignoreront toujours. Par exemple, le goût que j’ay pour la musique ; je vous diray bien que je le tiens un peu de ce que j’ay été autrefois un petit rossignol ; et, si vous me voyés une si grande facilité de m’énoncer, ne vous en étonnés pas, quand vous scaurés que j’étois, il n’y a pas bien du tems, une pie qui jasoit sans cesse, et à qui on avoit crevé un œil.

Je fus bientôt transformé en un petit chien. J’étois si joli que ma maîtresse m’estropioit tout le jour, et m’étouffoit toute la nuit. Elle me faisoit tenir sur les pattes de derrière, et ne me permettoit plus l’usage de celles de devant. Elle me secouoit les oreilles ; j’avois tous mes muscles en contraction, et, quand ses transports d’amour redoubloient, j’étois toujours en danger de ma vie. Pour comble