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MONTESQUIEU


caractères que l’on souffre, parce que, s’ils ne divertissent pas, ils aident à se divertir ; quoique, en général, dans la nation où je vivois, on ne fît guère que deux classes d’hommes : ceux qui amusent, et ceux qui n’amusent point ; et, puisque nous sommes sur cette nation, je vous diray que l’on avoit écrit cette sentence au frontispice de chaque maison : « N’ennuyés pas, et vous avés tout ; ennuyés, et vous n’avés rien. » Et l’on y répétoit sans cesse cette maxime : « Ne manques pas de plaire aux femmes, si vous voulés être estimé des hommes, » aussi bien que celle cy : « A quatorze ans, achevés de vous polir, à soixante, commencés à vous former ; » et cette autre, enfin, car cela ne finiroit point : « Ne vous avisés pas d’aller dire des choses, si vous êtes assez heureux pour sçavoir dire des riens. »

Ne me trouvant pas assez de considération à la Ville, j’en obtins par le moyen de la Cour. Vous sériés étonné si je vous disois pourquoi j’y allois : c’étoit pour en revenir. Quand j’étois parmy les bourgeois, je leur portois tous les mépris que je venois de recevoir. L’on admiroit mes sottises, quand je parlois, et l’on admiroit mon silence, quand je ne parlois pas. Je disois que le Prince s’étoit levé ce même matin, et que, le lendemain, il iroit à la chasse. Il s’en falloit bien que le philosophe qui connoît le mouvement des cieux et le cours des étoiles, fût aussi content de luy que je l’étois, lorsque je pouvois prédire les éclipses et les apparitions du Ministre ou du Prince.