Page:Montesquieu - Histoire véritable, éd. Bordes de Fortage, 1902.djvu/83

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LIVRE VI[1]




Vous prêtâtes hier tant d’attention à mes discours, mon cher Ayesda, et j’ay, de mon côté, un tel foible pour ceux qui m’écoutent, qu’il faut que je vous dise tout, et que je vous révèle des choses merveilleuses parmy les merveilles.

Vous sçaurés qu’il y a environ deux mille ans que mon Génie jugea à propos, je ne sçay par quelle raison, de m’habiller simplement d’un corps aérien, de manière que je passay cinquante ans hors de cette croûte épaisse où les âmes sont enfermées.

Je fus d’abord au service d’un petit incube très libertin, qui, la nuit, couroit toutes les ruelles de la ville. Le pauvre petit Dieu prenoit plus de peine, il se tracassoit tant, et cependant je ne voyois pas qu’il eut de grands plaisirs[2]. Il étoit, tous les matins, de la plus mauvaise humeur du monde ; il trouvoit à redire à tout ce qu’il avoit vu, et en faisoit une récapitulation très triste. Un jour qu’il se plaignoit à moy des dégoûts qui avoient suivi une nuit qu’il avoit passée avec une femme que tous les poëtes

  1. Le livre V manque. Voir l’introduction.
  2. Nous donnons cette phrase telle qu’elle est dans le manuscrit.