Page:Montesquieu - Le Temple de Gnide, 1824.djvu/32

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Mais jamais, dans ces lieux fortunés, elles n’ont rougi d’une passion sincère, d’un sentiment naïf, d’un aveu tendre.

Le cœur fixe toujours lui-même le moment auquel il doit se rendre ; mais c’est une profanation de se rendre sans aimer.

L’Amour est attentif à la félicité des Gnidiens : il choisit les traits dont il les blesse. Lorsqu’il voit une amante affligée, accablée des rigueurs d’un amant, il prend une flèche trempée dans les eaux du fleuve d’oubli. Quand il voit deux amans qui commencent à s’aimer, il tire sans cesse sur eux de nouveaux traits. Quand il en voit dont l’amour s’affaiblit, il le fait soudain renaître ou mourir : car il épargne toujours les derniers jours d’une passion languissante : on ne passe point par les dégoûts avant de cesser d’aimer ; mais de plus grandes douceurs font oublier les moindres.

L’Amour a ôté de son carquois les traits cruels dont il blessa Phèdre et Ariane, qui, mêlés d’amour et de haine, servent à montrer sa puissance, comme la foudre sert à faire connaître l’empire de Jupiter.

À mesure que le dieu donne le plaisir d’aimer, Vénus y joint le bonheur de plaire.