Page:Montesquieu - Le Temple de Gnide, 1824.djvu/52

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Je quittai cette île si odieuse à une déesse qui devait faire quelque jour la félicité de ma vie.

Je me rembarquai, et la tempête me jeta à Lesbos. C’est encore une île peu chérie de Vénus : elle a ôté la pudeur du visage des femmes, la faiblesse de leur corps, et la timidité de leur âme. Grande Vénus, laisse brûler les femmes de Lesbos d’un feu légitime ; épargne à la nature humaine tant d’horreurs.

Mitylène est la capitale de Lesbos ; c’est la patrie de la tendre Sapho. Immortelle comme les Muses, cette fille infortunée brûle d’un feu qu’elle ne peut éteindre. Odieuse à elle-même, trouvant ses ennuis dans ses charmes, elle hait son sexe, et le cherche toujours. Comment, dit-elle, une flamme si vaine peut-elle être si cruelle ? Amour, tu es cent fois plus redoutable quand tu te joues que quand tu t’irrites.

Enfin je quittai Lesbos, et le sort me fit trouver une île plus profane encore ; c’était celle de Lemnos. Vénus n’y a point de temple : jamais les Lemniens ne lui adressèrent de vœux. Nous rejetons, disent-ils, un culte qui amollit les cœurs. La déesse les en a souvent punis : mais, sans expier leur crime, ils en portent la peine, toujours plus impies à mesure qu’ils sont plus affligés.