Page:Montesquieu - Le Temple de Gnide, 1824.djvu/62

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nous y entrâmes, croyant que c’était la demeure de quelque mortel. Ô dieux ! qui aurait pensé que ce lieu eût été si funeste ? À peine y eus-je mis le pied, que tout mon corps frémit, mes cheveux se dressèrent sur la tête. Une main invisible m’entraînait dans ce fatal séjour : à mesure que mon cœur s’agitait, il cherchait à s’agiter encore. Ami, m’écriai-je, entrons plus avant, dussions-nous voir augmenter nos peines. J’avance dans ce lieu où jamais le soleil n’entra, et que les vents n’agitèrent jamais. J’y vis la Jalousie. Son aspect était plus sombre que terrible : la Pâleur, la Tristesse, le Silence, l’entouraient, et les Ennuis volaient autour d’elle. Elle souffla sur nous, elle nous mit la main sur le cœur, elle nous frappa sur la tête ; et nous ne vîmes, nous n’imaginâmes plus que des monstres. Entrez plus avant, nous dit-elle, malheureux mortels ; allez trouver une déesse plus puissante que moi. Nous vîmes une affreuse divinité, à la lueur des langues enflammées des serpens qui sifflaient sur sa tête ; c’était la Fureur. Elle détacha un de ses serpens, et le jeta sur moi : je voulus le prendre ; déjà, sans que je l’eusse senti, il s’était glissé dans mon cœur. Je restai un moment comme stupide ; mais, dès que le poison se fut répandu dans mes veines,