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Ce droit, tel qu’il est aujourd’hui, est une science qui apprend aux princes jusqu’à quel point ils peuvent violer la justice sans choquer leurs intérêts. Quel dessein, Rhédi, de vouloir, pour endurcir leur conscience, mettre l’iniquité en système, d’en donner des règles, d’en former des principes et d’en tirer des conséquences !

La puissance illimitée de nos sublimes sultans, qui n’a d’autre règle qu’elle-même, ne produit pas plus de monstres que cet art indigne qui veut faire plier la justice, tout inflexible qu’elle est.

On diroit, Rhédi, qu’il y a deux justices toutes différentes : l’une qui règle les affaires des particuliers, qui règne dans le droit civil ; l’autre qui règle les différends qui surviennent de peuple à peuple, qui tyrannise dans le droit public : comme si le droit public n’étoit pas lui-même un droit civil, non pas à la vérité d’un pays particulier, mais du monde.

je t’expliquerai dans une autre lettre mes pensées là-dessus.

À Paris, le Ier de la lune de Zilhagé, 1716.

LETTRE XCVI.

USBEK AU MÊME.
À Venise.


Les magistrats doivent rendre la justice de citoyen à citoyen : chaque peuple la doit rendre lui-même de lui à un autre peuple. Dans cette seconde distribution de justice, on ne peut employer d’autres maximes que dans la première.