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MONTESQUIEU

des marques de ses bons procédés. Vous seriez étonné si je vous disois mes prodiges. Lorsque j’entreprenois de hâter une libéralité tardive, j’avois toujours eu pour maxime de commencer par faire connoître ce que je valois. Je n’ignorois pas que les femmes sont trop avares pour se ruiner avec de certaines gens ; qu’elles ne quittent guère que les amants qui ont tort ; et qu’il y a souvent beaucoup, de raison dans ce qu’on appelle leurs caprices.

» Je cherchai donc à consoler le beau sexe de la perte de ses agréments, je soutins sa décadence, et j’honorai ses rides. Je lui présentai mes hommages quand les autres terminèrent les leurs, et je n’ai point à me plaindre de sa reconnoissance, mais seulement d’une certaine équité, qui fît que la récompense dépendît tellement des services qu’elle finît avec eux.

» Quand les Dieux, mon cher Ayesda, veulent purifier une âme, ils la font successivement passer d’un bon animal dans un meilleur, et, lorsqu’elle est enfermée dans les corps humains, et qu’elle doit finir sa course, ils la mènent d’une vie où elle reçoit quelques impressions de la vertu à une autre où elle en prend davantage. Je vous avoue ingénument que, si c’étoit vers la vertu que je tendois après tant de voyages, je n’étois guère avancé.

» Je naquis, et, dans mon enfance, ma nourrice m’ayant laissé endormi sous un arbre, elle trouva à son retour que des abeilles avoient couvert mes lèvres de miel. On dit que j’avois de petites mains douces comme du velours, des sourcils argentés et