Page:Montesquieu - Mélanges inédits, 1892.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
51
HISTOIRE VÉRITABLE

que je venois de dire, ou je reprenois quelques vieilles histoires ou certains propos familiers. Je donnois des raisons du petit nombre de gens aimables dans l’âge présent ; je comparois les débauchés anciens avec les débauchés modernes : je trouvois les premiers plus forts et les seconds plus affadis par la galanterie ; je me plaignois de l’éducation prise dans les ruelles et de la proscription des cabarets.

» Mon Génie, mécontent de moi, me fit redevenir bête : il voulut que je broutasse l’herbe, et je naquis cheval[1].

» A l’âge de sept ans, je quittai la prairie, et j’aidai à traîner un char dans les rues d’Ecbatane. Chose admirable ! Mon maître n’avoit rien à faire depuis le matin jusqu’au soir, et je mourois de fatigue à son service. Il me menoit avec une vitesse incroyable, comme si toute la Ville l’avoit attendu, et me ramenoit du même train dans un autre lieu, où il étoit tout aussi inutile. Tout fuyoit devant moi ; ceux même qui m’avoient évité avoient peine à le croire, et mon étourdi rioit de bon cœur. Son triomphe, c’étoit les embarras : il se rendoit d’abord maître du terrain, et sa voix étoit si forte qu’on n’entendoit que lui. Sa colère et ses jurements augmentoient avec les obstacles, et, quand il s’étoit fait faire place, il ne savoit plus où aller.

» Je n’espérois de sortir de ses mains que lorsque je lui aurois fait rompre le cou ; mais, un beau jour, je fus saisi par ses créanciers, et un vieux usurier me prit en paiement. Hélas ! que je regrettai la folie

  1. i. [En marge :] Cheval. [Voyez page 40.]