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ESSAI SUR LES CAUSES

lirent, et, comme les premiers écrivains de toutes les nations, bons et mauvais, ont toujours eu une réputation infinie, par la raison qu’ils ont toujours été, pendant un temps, supérieurs à tous ceux qui les lisoient, il arriva que ces premiers et misérables ouvrages furent regardés par les Juifs comme de parfaits modèles, sur lesquels ils formèrent et ont toujours formé depuis leur goût et leur génie.

Je ne parle pas des Livres sacrés écrits depuis la captivité ; le goût en est très différent de celui des ouvrages des rabbins. Ils sont divinement inspirés, et, quand ils ne l’auroient pas été, dans des ouvrages purement historiques, l’auteur n’auroit guère pu rien mettre du sien.

Voici un autre exemple, qui fait bien voir à quel point la cause morale force la cause physique. Les peuples qui approchent plus du Midi, comme les Asiatiques, ont une certaine timidité, qui les porte naturellement à obéir, et les peuples qui approchent plus du Nord, comme les Européens, ont une hardiesse, qui les porte à mépriser la vie et les biens pour commander aux autres. Or cette timidité, qui fait, dans le Midi, que tout le monde est porté à obéir, rend le commandement tyrannique ; et cette hardiesse, qui fait que, dans les pays froids, tout le monde voudroit commander, y rend le commandement modéré : car ceux qui exercent l’autorité vont toujours jusqu’à ce qu’ils soient arrêtés ; ils ne se bornent point là où la raison les (sic) prescrit, mais où la patience finit.

Cependant, il faut avouer que les peuples timides,